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L'adoption : silences, non-dits et secrets de filiation

  • Photo du rédacteur: David N'diaye-Allard
    David N'diaye-Allard
  • 28 avr. 2022
  • 5 min de lecture


Les pratiques adoptives, issues d’un désir d’enfant contrarié, de blessures liées à l’infécondité et/ou au deuil des corps s’articulent et s’organisent autour de secrets. La relation entre parents adoptifs et enfants recueillis souffre de non-dits qui font le lit d’une fragilité ou d’une difficuté pour l’enfant d’être et de se sentir reconnu. Des paroles sont tues ou implicitement interdites des deux côtés, des émotions sont passées sous silence ou exarcébées parce qu’elles proviennent précisément du lieu où loge la fragilité de part et d’autre et qu’elles sont l’expression de contenus et de conflits refoulés (blessures psycho sociale liées à l’infécondité, à l’abandon, à la non reconnaissance, à l’ignorance de l’origine..). Ces émotions occultées ou sacralisées sont aussi l’expression d’imaginaires éloignés et de fantasmes interdits.


« Le secret contient en lui l’espoir que la personne sera un jour capable d’en émerger pour être retrouvée. »

M. Khan, 1976



Secrets de filiation :


En dépit du fait que plusieurs adultes se soient occupés de lui, l’enfant non-reconnu et ne pouvant donc s’identifier à ses lignées, les reconnaître et être reconnu par elles, cet enfant se construit sur un vide dont les conséquences sont différentes d’une blessure d’abandon bien qu’elles puissent en certains cas se sur-ajouter.


La racine de ses conséquences est de l’ordre d’un dérèglement profond consistué sur la base d’une ignorance. Un vide et un manque de repère est là qui rend difficile la tache de se construire une identité stable, ancrée et par là une difficulté à envisager pour le sujet voire une incapacité à se projeter lui-même en tant que parents. En effet une telle situation peut pousser l’enfant non reconnu à développer des croyances du type : « le monde est trop violent pour y faire naître des enfants, ce n’est pas un service à leur rendre».


Il peuvent aussi développer d’autres croyances autours des notions d’indépendance ou de suffisance. Ces croyances, véritables stratégies de survie psychique peuvent se révéler handicapantes et interférer avec l’investissement dans le couple par exemple et particulièrement lorsque la question d’une future parentalité se pose.



Je n’ai jamais connu mon père , Etant né de père incconu

Aussi j’ai grandi sans manière , Sans que personne ne m’ait reconnu

Tout petit je fauchais aux étalages , Ce que ma mère ne pouvait acheter

Il faut bien manger à tout âge , J’ai appris alors à tricher.


J’ai Appris Alors (2007) de Charles Aznavour



Secrets, non-dits et silences entourant les pratiques adoptives:

L’élaboration du secret tout comme et sa révélation ont pour conséquences d’occasionner une fragmentation. L’effet sera traumatique et aura une incidence sur la vie psychique, somatique et corporelle ainsi que sur les repères identitaires et identificatoires qui seront à la base, chez l’enfant et l’adolescence, de névroses dépressives, déficitaires ou morbides.

Beaucoup de parents soit refusent soit ne peuvent pas expliciter aux enfants leurs origines car c’est pour eux aller au devant d’une confrontation dont les enjeux sont multiples et se situent sur le terrain même de leurs fragilités. Le premier risque et de se retrouver confronter à une part de leur propre histoire avec ce qu’elle contient de blessures (biologiques et psychosociales).


En effet, devenir parents signifie d’une part que le corps physique peut le faire mais permet aussi d’accéder à un nouveau statut reconnu de la société. Les fonctions paternelles et maternelles sont valorisées et permettent d’ouvrir l’accès à de nouveaux territoires sociaux et ainsi de faciliter l’intégration au corps social ce qui est vecteur de developpement. Ainsi, infertilité et infécondité ont des répercusions négatives sur la vie du couple concerné par cette problématique. Le second risque encouru part les parents adoptants en explicitant aux enfants leurs origines est d’occasionner la résurgence de tiers géniteurs ou matriciels.


Si le secret de l’adoption ou d’une part de son histoire protège les parents des confrontations d’ordre psychologiques qui leur sont intrinsèques, tôt ou tard la problématique des origines refera immanquablement surface car quelque chose dans les enfants cherchera la compréhension et la résolution des pulsions inconscientes par lesquelles il seront mus (troubles du comportement, violence de l’adolescence..). Si la parentalité débute au moment de l’accueil des enfants dans le foyer, les enfants adoptés eux, sont déja porteurs d’une histoire et donc d’une part étrangère à la nouvelle cellule familiale nucléaire.





Rapports entre adoptants et adoptés:


Si l’adoption est le signe, le foyer constitué par la démarche adoptive est le signifié. Le signifiant de cette situation contient lui les antécédents du couple caractérisés par le manque et les difficultés à se projeter dans l’imaginaire du fait de ne pouvoir procréer. L’enfant lui se retrouve en place d’illustrer une défense contre ces pulsions de négation de soi et ainsi avec l’adoption est convoqué un mythe qui pourvoit l’enfant d’un pouvoir de réhabilitation des fonctions procréatrices.


Dans un tel rapport il y a unilatéralité du désir car l’enfant adopté n’a pas de désir initial d’abandon et de déplacement, c’est une chose qu’il subit alors que les parents adoptants par leur histoire ont développé eux, un désir. Ce décalage (associé aux mécanismes qui sous tendent le secret de famille) est porteur de risques pour la santé psychologique de l’enfant, santé mentale tantôt sur-investie et tantôt réduite comme n’étant qu’un élément parmi d’autres de l’histoire du couple, l'enfant représente alors l’incarnation de la perte d’un objet symbolique ou d’un dysfonctionnement.


Enfin, un autre paramètre est à prendre en compte, celui de la peur des parents adoptants et du sentiment de fragilité quant la réassurance des liens et de la stabilité du foyer face à cet autre, ce tiers fantomatique et cette conscience imperceptible que représentent les géniteurs de l’enfant et envers qui les parents adoptants se retrouvent symboliquement mais puissament en situation de dette de loyauté. Evoquer cet autre, étranger, géniteur ou matriciel et, c’est alors la porte du retour du refoulé qui s’ouvre réactivant évitements, symptômes et besoins de régulation.


L’ enfant abandonné lui se retrouve entravé dans une solitude intérieure avec laquelle lui faut traverser une succession de deuils ( de son origine, de ses parents, d’une part de son hisoire) après lesquels il lui faudra envisager le renoncement, l’humiliation et l’infamie du patronyme absent. Ce seront pour lui des moments d’enfance et d’adolescence caractérisés par des effondrements dans une confrontation à lui-même. Enfants placés et adoptés grandissent sur la base d’une fondation lourde, celle des secrets, de l’indicible, de l’innomable et de l’inavouable.


L’adoption est une chose complexe dans laquelle il est toujours pénible pour les différentes personnes concernées d’aborder tout ce que nous venons de voir et, ainsi, se met en place l’architecture du secret, le partage d’angoisses dans le silence et le non-dit afin de servir l’homéostasie du couple et de la famille.


Pour conclure, il est important de garder à l’esprit que dans toutes circonstances d’abandon il y a rejet social de la mère de l’enfant qui se trouve dans l’incapacité d’assumer la charge familiale et publique. L’enfant conserve malgré tout l’empreinte de son histoire et une mémoire génétique de sa mère qui sera réactivée tôt ou tard ( par une coîncidence, par une parole, un sous-entendu, un regard, une sensation..). Cette filiation est un fait que beaucoup de parents adoptifs sont tentés de récuser et d’obturer alors que cette mémoire et cette empreinte sont la seule garantie du bien-être de l’enfant, de son développement.



 
 
 

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